Enjeux et défis de l’orthographie dans les langues nationales : Cas du wolof et du pulaar
Contexte et justification
La langue, comme toutes les formes de langage, est essentielle pour la communication humaine porteuse des changements et du développement dans la société humaine. Dans la transmission des messages, dans l’appropriation des processus de développement par la population et dans la réussite des actions à entreprendre, la langue joue un rôle fondamental. Les institutions internationales et les États l’ont si bien compris que des actions et des initiatives ne cessent d’être menées notamment par les Nations Unies à travers l’UNESCO avec le Plan d’Action mondial de la Décennie internationale des Langues autochtones (DILA) 2022-2032 ; il s’agit de promouvoir la diversité linguistique et culturelle et le multilinguisme et de revaloriser les langues dominées par les grandes langues de communication.
La Cildak organisée sous le thème de « La description des langues en Afrique : entre données et théories » va dans le même sens et constitue une belle occasion de susciter une prise de conscience des avancés et des problèmes linguistiques, afin de réorienter la mise en œuvre des stratégies et des politiques en faveur les langues nationales de la diversité linguistique et du multilinguisme en Afrique en général et au Sénégal en particulier.
C’est dans ce cadre qu’il est envisagé l’organisation de cet atelier inédit en langues nationales et sur les langues nationales. Il s’agira de susciter la discussion sur les questions posées par l’orthographie du wolof et du pulaar ; il s’agira de regrouper des intellectuels de profils divers, intéressés ou ayant une connaissance en la matière ou un point de vue à partager mais ne parlant pas forcément le français ou l’anglais et donc qui ne sont pas souvent entendus.
La situation linguistique du Sénégal se caractérise par l’usage dans l’administration et dans l’éducation d’une langue « dite » officielle, le français et de 26 autres langues « dites » nationales et qui ont du mal à s’imposer comme porteuses de développement. Depuis les indépendances, le Sénégal fait des efforts et s’est engagé dans une politique d’officialisation des règles d’orthographe des langues nationales. Entre 1975 et 1985, six langues locales ont été choisies, codifiées et considérées comme langues nationales. Il s’agit du wolof, du pulaar, du séeréer, du mandinka, du jóola, du soninke. Dix-sept autres langues ont été codifiées entre 2000 et 2015. À ce jour, 14 des 22 langues codifiées disposent d’un décret officiel.
Les alphabets préconisés pour ces langues ont été le résultat d'un processus complexe et parfois conflictuel, qui a intégré successivement les étapes d'une analyse rigoureusement scientifique à des facteurs subjectifs de symbolisation. Les experts qui avaient travaillé à l’élaboration de ce décret étaient conscients que la transcription n’était pas totalement satisfaisante, mais elle était faite en tenant compte du caractère transfrontalier des langues telles que le wolof et le pulaar et qu’il fallait tenir compte dans un souci d’unité africaine. Cependant très vite, des problèmes ont surgi, car des initiatives étaient prises de façon éparse pour enseigner la lecture et l’écriture en langues nationales alors que les grammaires et les études sur les langues n’étaient pas encore achevées.
Aujourd’hui, plus d’une quinzaine d’années après la stabilisation du décret sur le wolof harmonisé et à la suite de plusieurs révisions, des problèmes demeurent encore dans l’écriture de la langue, malgré un environnement lettré de plus en plus dynamique. Chacun y va de son écriture et de son découpage des mots, surtout dans les réseaux sociaux et dans l’espace public avec les panneaux publicitaires et dans les médias, malgré une littérature et une presse écrite en langue nationale en plein essor et qui se développe de manière significative. Les erreurs et confusions dans l’écriture de nos langues, notamment du wolof, sont la preuve d’une improvisation et une anarchie totale dans l’espace public pour les écrits du wolof. Cela est certainement dû soit à une méconnaissance ou à des négligences des règles d’écriture, soit à un refus d’une certaine élite d’appliquer les règles officielles de transcription des langues nationales, lesquelles règles sont considérées comme inspirées par l’écriture du français.
La rencontre organisée dans le cadre du CiLDak envisage de regrouper aussi bien des intellectuels venant des écoles françaises, anglophones, arabes que des femmes et des hommes non scolarisé.e.s mais ayant une connaissance incontestable en wolof et en pulaar. Il s’agira d’un moment de discussions et d’échanges, dans la convivialité et dans le respect des connaissances et expériences des uns et des autres pour « aider » ce sujet qui nous est commun, qui nous passionne tous, qui est l’amour de l’écriture de nos langues et qui est aussi la transmission de nos cultures.
Ce sera une première dans un colloque international au Sénégal et un premier pas pour commencer à faire des rencontres officielles dont les communications seront faites en langues africaines puisqu’on parle toujours de valorisation et de promotion de nos langues. Cette rencontre permettra aussi de montrer que nos pays regorgent d’intellectuels qui n’ont pas été dans les écoles françaises, anglaises ou arabes et qui sont porteurs de points de vue tout à fait pertinents dans le débat « intellectuel » autour de la construction de notre développement. Cette rencontre se veut le regroupement du maximum de synergies autour de l’amour de nos langues et de nos cultures au service de la construction d’un humanisme se basant sur nos valeurs et notre patrimoine culturel pour un développement harmonieux.
Enfin cette rencontre se veut un moment pour valoriser les langues africaines qui ont leur identité et leur génie propres et leur donner l’aura dont elles ont besoin pour éclore et constituer de bons instruments de développement des pays africains et pour cela, il est certain qu’il faudra « décoloniser » nos langues et cultures locales et leur permettre de jouer pleinement les rôles qui sont les leurs.
Objectifs de l’atelier
Cet atelier a pour objectifs de :
- créer une tribune regroupant des intellectuels de profils divers, scolarisés ou non, qui partagent un même idéal pour nos langues et discuter avec sérénité de l’orthographie de ces langues ;
- susciter un débat en langue nationale dans un milieu académique, pour traiter de questions pointues et montrer que nos langues sont tout autant capables d’exprimer des pensées philosophiques et scientifiques que les langues européennes ;
- proposer une séance de réflexion sur comment/quand tenir les états généraux de la transcription orthographique et du système d’enseignement de nos langues nationales (en abordant les problèmes avec sérénité) ;
- proposer une séance de réflexion sur l’élaboration d’un cadre de référence commun pour l’enseignement/apprentissage de nos langues nationales (en proposant un programme pertinent/cohérent qui a une continuité, tenant compte, des différents cycles) ;
- proposer la mise en place d’un cadre de concertation pour l’harmonisation (ou l’uniformisation) du vocabulaire scientifique utilisé dans les différentes disciplines (identifier ou créer la terminologie adéquate pour différents concepts scientifiques et techniques),
- préparer un colloque dédié aux langues africaines, dans deux ans, par des communications uniquement dans ces langues, avec des interprétations simultanées.
Format
Atelier d’une journée avec possibilité de deux sous ateliers Langues, avec une restitution et des recommandations de la séance.
Cibles
Universitaires et non universitaires chercheurs et enseignants dans les langues nationales sénégalaises, spécialistes en traduction, experts en pilotage et en évaluation des systèmes éducatifs. Journalistes, étudiants, autorités politiques, locuteurs des langues…
Date et lieu
IFAN Cheikh Anta Diop
Comité d’Organisation
- Adjaratou Oumar Sall, IFAN Cheikh Anta Diop,
- Lamine Thiaw, ESP
- Thierno Cissé, FLSH
- Sokhna Bao Diop, UGB
- Ndeye Codou Fall, Directrice EJO éditions