XVIIIe COLLOQUE
DE L’ASSOCIATION OUEST-AFRICAINE D’ARCHÉOLOGIE (AOAA)

FACULTE DE MÉDECINE, UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR (UCAD, SENEGAL)
DU 27 AU 30 NOVEMBRE 2023

THEME : « CONTRIBUTION DE L’ARCHEOLOGIE A LA CONNAISSANCE DE LA DYNAMIQUE CLIMATIQUE ET PRESERVATION DU PATRIMOINE OUEST-AFRICAIN FACE AUX EXIGENCES DU DEVELOPPEMENT »

JUSTIFICATIONS

Créée depuis 1976, l’Association ouest-africaine d’Archéologie (AOAA), en dépit des quelques difficultés rencontrées dans son fonctionnement, s’est intéressée aux défis posés en Afrique de l’Ouest en abordant des thématiques qui interpellent tous les segments de nos sociétés. D’Abidjan 2013 à Ouagadougou 2021, des chercheurs se sont retrouvés, tous les deux ans, pour échanger sur les apports de notre discipline à la compréhension des préoccupations de l’espace ouest-africain. Les divers thèmes « Archéologie et intégration régionale en Afrique l’Ouest », « Archéologie, conflits armées et sécurité du patrimoine en Afrique de l’Ouest », « Archaeology and World Heritage sites in West Africa », « L’archéologie ouest-africaine, facteur de cohésion sociale face au défi sécuritaire » en sont une parfaite illustration. En effet, depuis quelques décennies, l’Afrique de l’Ouest vit une instabilité multiforme diversement appréciée et insuffisamment diagnostiquée. Dans ce contexte où le défi sécuritaire mobilise tous les énergies et choix, la dégradation de l’environnement, avec les clivages climatiques (sécheresse-inondations-sécheresse), a fini par avoir raison des orientations politiques de cet espace. C’est dans ce contexte difficile, accentué par les conséquences de la guerre russo-ukrainienne sur notre quotidien, que nous comptons faire entendre l’archéologie et la nécessité de sauvegarder notre patrimoine qui est de plus en plus menacé de disparition. Le thème de ce XVIIIe colloque, dont un volet est axé sur « la contribution de l’archéologie à la connaissance des changements climatiques » permettra de fournir un bon diagnostic de l’évolution climatique, des stratégies d’occupation et d’exploitation de l’espace adoptées par nos ancêtres qui, de par leur forte interaction avec la nature, ont su la ménager mieux que les sociétés contemporaines. Si dans le passé, l’action anthropique était peu en cause, l’homme préhistorique étant en parfaite synergie avec son environnement, force est de constater que la course effrénée au développement (avec les multiples projets) a abouti à une surexploitation des ressources naturelles et minières avec son corollaire de pollution et d’expansion urbaine exigeante en infrastructures. Les nombreuses alertes d’agression de la couche d’ozone n’ont pas toujours eu un écho favorable chez les politiques. L’environnement, à force d’être martyrisé, a complétement bouleversé notre existence. Des régions, très bien arrosées par une importance pluviométrie, verdoyantes et assurant une alimentation abondante et en qualité, se sont retrouvées progressivement arides ; des déserts se retrouvent sous les eaux ; des tempêtes et cyclones ravagent des villes, villages et paysages; des incendies consument des forêts tout en installant des famines. Ces phénomènes climatiques versatiles ne sont pas nouveaux et le Sahara en est un parfait exemple. En effet, les études portant sur le paléoenvironnement ont montré que depuis des milliers d’années notre planète ne cesse de subir les changements climatiques. Elles ont montré que nos paysages actuels se sont dessinés au Pléistocène qui s’étend de 500.000 ans à 45.000 ans, avec des alternances de périodes très humides et arides au pléistocène ancien (500.000 et 370 000 BP), un rétrécissement très net de la zone saharienne après 300 000 BP (pléistocène moyen). En Afrique, l’évolution climatique a connu un optimum climatique avec l’holocène ancien. A cette période, avec la principale période humide (le Tchadien situé entre 10 500 et 8000 BP), le Sahara était nettement plus arrosé avec une présence d’un fort couvert végétal. C’est à cette époque que les réseaux hydrographiques furent le plus longtemps fonctionnels et les lacs plus vastes et profonds. Après la fin du dernier Pluvial africain (9000 BC), au moment où les paysages européens et nord-américains étaient remodelés par l'avancée des masses glaciaires, l'Afrique du Nord et le Sahara traversaient une succession de phases humides, pluviales et sèches. C’est à cette période que survint le passage d'une économie basée sur la chasse et la cueillette à un mode de vie néolithique orienté vers l'exploitation de grands troupeaux de moutons et de chèvres domestiques. Les recherches effectuées sur la zone-refuge des Dhars Tichitt et Oualata (falaises) de la Mauritanie actuelle ont montré comment le processus d’aridification au Sahara méridional, à partir de 4500 BP, a contraint les populations a modifié leurs stratégies d’occupation. Ces dernières années, des études multi et pluridisciplinaires, avec des techniques de recherche plus sophistiquées, ont permis aux préhistoriens d'évaluer avec plus de précision l'ampleur et la chronologie de la désertification du Sahara, mais aussi les différentes fluctuations climatiques dans l’espace ouest-africain et leurs impacts sur les populations actuelles et leur patrimoine naturel et culturel. L’avenir est encore plus sombre. Selon l’Agence Européenne de l’Environnement, le changement climatique réel et persistant s’installe dans la longue durée. Dans ses prévisions, d’ici l’horizon 2100, la température augmentera de 1.4 à 5.8°C, avec une intensité accrue des précipitations, mais en même temps des sécheresses plus récurrentes dans les zones arides et semi-arides, une augmentation du niveau de la mer de 0,09 à 0,88 m et une fréquence accrue des tempêtes » (UNESCO 2007:17) Les rapports Global Risk 2014 et 2015 abondent dans le même sens en considérant le changement climatique comme étant l’un des 5 plus grands risques en terme d’impact. A cet effet, les spécialistes des questions de sécurité nationale insistent sur la particularité du changement climatique, un threat multiplier (multiplicateur de menaces), et ses larges conséquences (sociales, économiques, politiques, culturelles, environnementales etc.) et effets secondaires. Parmi lesquels les menaces sur le patrimoine et les sites archéologiques (Werell et Femia 2015). En effet, le changement climatique impacte négativement le patrimoine, les artefacts et les sites archéologiques. L’intensité des précipitations, les crues, sècheresses et vagues de chaleur perturbent les sédiments, sites et artefacts. Les fortes pluies affectent la composition et la position du matériel de surface, avec comme effet le déplacement des artefacts et, de ce fait, engendrent la formation de nouveaux contextes archéologiques et de nouvelles associations qui n’ont rien à avoir avec les actions anthropiques du passé (Chmutina et al 2016). En Angleterre, l’organisation English Heritage a commandité, en 2002, des études qui ont montré que le changement climatique perturbe la texture et l’humidité du sol, et par conséquent les artefacts (Cassar et Pender 2005). Cette humidité affecte aussi le matériel végétal et génétique qui, avec les avancées de la science, s’est révélé être de plus en plus une source très importante dans la compréhension du passé. Ce changement taphonomique et les autres qui affectent les relations entre artefacts ont été soulignés par Schiffer (1972, 1987), père de la Behavioural Archaeology. Dans ses travaux sur les processus de formation des contextes archéologiques, il suggère, avant l’analyse des artefacts, de comprendre d’abord leur processus d’agrégation, le mouvement des artefacts et l'abandon des activités (Schiffer 1987, 1972). Ces travaux ont changé la façon dont les archéologues infèrent les activités. De ce fait, il est aujourd’hui admis que le changement climatique fait partie des perturbateurs naturels des contextes archéologiques et du patrimoine et engendre de graves conséquences, avec une menace sur les valeurs universelles exceptionnelles de notre patrimoine. « Les menaces du changement climatique sur le patrimoine culturel porteront un préjudice considérable à notre héritage historique commun. Les dommages causés à un site du patrimoine culturel peuvent entraîner la perte d'actifs culturels, sociaux et économiques irremplaçables pour les communautés locales, nationales et mondiales. La multitude d'utilisations du patrimoine culturel par la société est menacée par le changement climatique, impactant la formation d'identités communautaires et le rendement financier du tourisme » (Hambrecht et Rockman 2017:627). Cependant, loin de baisser les bras, la communauté scientifique est en train de réagir avec plusieurs initiatives dont certaines sont listées par Hambrecht et Rockman (ibid p 628). Il s’agit, entre autres, de l’appel lancé en 2006 par le Comité du Patrimoine Mondial de l’UNESCO pour agir contre les menaces climatiques sur le patrimoine, de la résolution en 2015 de l’Union of Concerned Scientists appelée Pocantico Call to Action on Climate Impacts and Cultural Heritage Declaration, de la création en 2016 par la Society for American Archaeology d’une commission appelée Climate Change Strategies and Archaeological Resources Committee, des appels en action en 2017 de l’UNESCO, de l’intégration par l’UNESCO en 2017 des menaces du changement climatique sur le patrimoine et dans la gestion des risques et désastres par l’ ICCROM . Bien que des initiatives soient prises par des organisations et des gouvernements en Amérique du Nord, en Europe, en Asie et en Australie, force est de constater qu’il n’en est pas de même en Afrique. La situation est plus désolante en Afrique subsaharienne où les menaces et les impacts du changement climatique augmentent en intensité engendrant inondations et érosion rapide causée par des précipitations extrêmes. Malheureusement, les études sur les impacts du changement climatique sur le patrimoine et les sites archéologiques y sont presque inexistantes, et l’écrasante majorité des sites pas fouillée ; beaucoup de sites ne sont même pas encore découverts. Cette malheureuse situation a d’énormes conséquences culturelles et socio-économiques. En Afrique de l’Ouest, le changement climatique, en plus de contribuer à une perte d’identité multiséculaire (engendrant des dommages émotionnels et culturels importants), à une diminution de la cohésion communautaire et du sens de l'espace et de la place, contribue aussi à la pauvreté (en diminuant les revenus du tourisme). La perte d’identité entraine celle du symbolic reservoir (le réservoir de symboles, mythes, légendes et rites que les populations utilisent dans la construction de leur réalité) (R. McIntosh 1993), des connaissances endogènes de lutte et d’adaptation au changement climatique. Les communautés ouest-africaines, de par leurs modes de vie, interactions avec l’environnement et stratégies de subsistance, nous ont , en effet, laissé un riche patrimoine dont la connaissance et la préservation offriront à plusieurs générations l’opportunité de se construire des identités. Malheureusement, ce patrimoine est agressé de toutes parts. En plus des fluctuations climatiques et de l’insécurité, il est surtout victime du développement effréné des infrastructures et de l’exploitation minière. C’est dans ce contexte, que le second volet de notre thème, « le patrimoine culturel ouest-africain face aux exigences du Développement », trouve toute sa pertinence. Il s’agira de réfléchir sur les synergies indispensables à la promotion d’une archéologie préventive en cohérence avec l’aménagement des terroirs pour prendre en charge la préservation et la valorisation du patrimoine naturel et culturel ouest-africain. Il est, en effet, urgent de répondre aux mutations profondes que connaît notre espace ces dernières décennies. Celles-ci sont à mettre en rapport avec l’exploration et l’exploitation effrénée des ressources minières et énergétiques, l’urbanisation galopante, les travaux d’irrigation, les aménagements touristiques et les politiques de développement dans leur ensemble dont l’impact négatif sur les ressources naturelles et culturelles n’est plus à démontrer. Les recherches effectuées permettront de montrer que la préservation et la valorisation de notre patrimoine, loin de constituer un frein ou une entrave aux exigences du Développement, constitue une plus-value de notre épanouissement culturel, économique, social et politique. Sa prise en compte dans de réelles politiques, en « plus de la plus-value à l’éducation et le renforcement de l’unité et de la fierté d’une nation, contribue aussi à rehausser la visibilité internationale de nos pays » à travers un tourisme culturel ; la culture est le seul bien à ne pas être soumis à la concurrence. Ainsi, durant quatre jours, du 27 au 30 novembre 2023, le XVIIIe colloque de notre association sera une tribune, un espace autonome pour qu’un nombre important de chercheurs puisse discuter et partager leurs expériences. Ce moment sera également une opportunité pour faciliter le dialogue entre des chercheurs de générations et de sexes différents. Le but est de réunir des chercheurs et enseignants travaillant à reconstituer le passé de l’espace ouest- africain, non seulement dans le domaine de l'archéologie (terrestre et subaquatique) et du patrimoine (terrestre et immergé), mais aussi de l'histoire, de la paléoanthropologie, de l'ethnoarchéologie, de l'archéobotanique, de la muséologie, de l'archéozoologie, de la bio-anthropologie, de la linguistique ou de la géologie. Cette réunion vise donc à promouvoir et à encourager l'interaction, non seulement entre les différentes disciplines et différentes écoles, mais aussi entre les chercheurs et les étudiants, en permettant un échange intensif de connaissances, de concepts, de méthodes, d'expériences, de points de vues et de stratégies. Cependant, il convient de souligner que pour ce colloque, bien que le thème choisi soit un fil conducteur, toutes les recherches menées actuellement en Afrique de l’Ouest sont considérées. Ainsi, en plus des axes thématiques proposées par le Comité d’organisation, la proposition des thèmes, mettant en valeur la grande diversité des études abordées et la multiplicité des facettes de l’Afrique de l’Ouest, dont la dynamique historique est trop souvent sous-estimée dans les réflexions générales, sont attendus.
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